- La présence d’un équipement informatique au domicile concerne la quasi-totalité des élèves. Les élèves fragiles scolairement en sont toutefois moins souvent dotés. Ces élèves ont également une moindre capacité à être accompagnés par leurs parents dans l’usage des outils numériques.
- De manière générale, les élèves les plus fragiles scolairement sont également ceux qui bénéficient des conditions les moins avantageuses pour poursuivre leur scolarité au domicile familial, qu’il s’agisse de leurs conditions de travail ou de l’aide qui peut leur être apportée. Ce constat laisse craindre une aggravation d’inégalités scolaires déjà fortes.
Du fait de l’épidémie de coronavirus, l’ensemble des établissements scolaires sont fermés depuis le 16 mars 2020. Si les écoles maternelles et élémentaires pourront de nouveau accueillir les élèves à partir de la semaine du 11 mai, cette ouverture ne sera que progressive et partielle. Pour les collèges et lycées, le retour des élèves d’ici à la rentrée de septembre 2020 s’annonce encore plus hypothétique. Dans ces conditions, la question de la capacité de chaque élève à poursuivre les apprentissages à son domicile est posée. Les inquiétudes sont fortes quant à un creusement des inégalités scolaires et à l’accentuation du « décrochage » des élèves les plus fragiles. Ce terme, jusque-là réservé aux sorties de l’enseignement secondaire sans diplôme, est maintenant appliqué aux élèves de tous âges dans le débat public pour décrire des situations où l’école perdrait le contact avec eux. C’est cette même inquiétude qui est invoquée par les pouvoirs publics lorsqu’il s’agit de justifier la réouverture partielle des établissements scolaires. Dans quelle mesure ces craintes sont-elles fondées ? À quel point les élèves au niveau scolaire le plus faible sont-ils également ceux qui rencontrent les plus grands obstacles à la continuité pédagogique ?
Méthodologie
Pour apporter des éléments de réponse à ces questions, nous mobilisons les données d’une enquête réalisée par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du Ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse (MENJ-DEPP). Cette enquête a été menée auprès d’un échantillon d’environ 15 000 élèves de France métropolitaine entrés au CP à la rentrée 2011 et suivis tout au long de leur scolarité. En 2016, cinq ans après leur entrée au CP, ces mêmes élèves ont été testés sur leurs compétences scolaires et leurs parents ont été interrogés sur leurs conditions de vie, leur profil sociologique ainsi que sur leur investissement dans la scolarité de leur enfant. Les statistiques présentées dans ce billet sont principalement tirées de ces deux questionnaires dont les données ont été mises à disposition par les Archives de données issues de la statistique publique (ADISP).
De fortes inégalités scolaires entre élèves
C’est la situation des élèves les plus fragiles scolairement qui inquiète en cette période de suivi des apprentissages à distance. Pour étudier les caractéristiques des élèves selon leur niveau scolaire, nous divisons les élèves en quartiles, c’est à dire quatre groupes de même taille, en fonction des résultats obtenus aux tests de compétences en français et en mathématiques, qu’ils ont passés cinq ans après leur entrée au CP.
Le premier quartile se distingue par une part très importante d’élèves qui ont redoublé au moins une fois au cours des cinq années qui ont suivi leur entrée au CP : 26 % d’entre eux sont dans cette situation alors que le redoublement ne concerne qu’une part marginale des élèves des autres groupes (entre 0 et 3 %). Le premier quartile concentre donc des élèves en grande difficulté scolaire.
Des conditions matérielles moins favorables au domicile pour les élèves en difficulté scolaire
L’étude de la composition sociale de chacune des quatre catégories d’élèves regroupées en fonction de leur niveau scolaire souligne une caractéristique bien documentée du système éducatif français : les inégalités scolaires sont fortement liées à l’origine sociale des élèves (voir notamment la note de l’OCDE sur les résultats PISA 2018 pour la France). Nous reprenons ici la classification de la DEPP qui distingue les PCS « très favorisées » (cadres, chefs d’entreprises, professions intellectuelles et professions libérales), les PCS « favorisées » (professions intermédiaires), les PCS « moyennes » (artisans, commerçants, employés) et les PCS « défavorisées » (ouvriers et personnes sans activité professionnelle). Le groupe rassemblant les élèves les plus en difficulté est composé à 81 % d’élèves de catégories sociales « moyennes » ou « défavorisées ». Dans le groupe des élèves aux meilleurs résultats, cette proportion s’élève à 41 %.
Cette composition sociale différenciée des élèves en fonction de leur niveau trouve une traduction concrète dans l’inégalité des conditions de vie et de logement. Par exemple, dans le groupe des élèves les plus en difficulté, 29 % partagent leur chambre avec un autre membre du foyer. Or, il s’agit d’une situation peu favorable aux apprentissages (voir à ce sujet cet article de Dominique Goux et Eric Maurin).
De même, afin d’assurer la continuité pédagogique, le rôle des environnements numériques de travail et du dispositif « Ma classe à la maison », tous deux accessibles en ligne, a pu être mis en avant. Il est alors important de s’intéresser à l’équipement numérique des familles. La possession d’un ordinateur au domicile de l’élève est très répandue : seules 3 % des familles déclarent ne pas en disposer. Cette proportion est néanmoins plus élevée chez les élèves les plus en difficulté (5 %). Le constat est similaire lorsqu’on s’intéresse à l’accès à une connexion internet au domicile de l’élève. À cet égard, les mesures visant à améliorer l’équipement informatique des élèves qui ont été prises récemment par le Ministère de l’Éducation nationale, des collectivités locales ou encore des associations sont les bienvenues. Cependant, le nombre d’équipements informatiques au sein du domicile tout comme la qualité de la connexion internet sont certainement des éléments déterminants dans la possibilité pour les élèves d’accéder aux outils numériques en ligne. Il n’est toutefois pas possible de mesurer les inégalités selon ces dimensions à partir des données de l’enquête menée par la DEPP.
Un autre motif d’inquiétude tient aux effets économiques de la crise sanitaire : parmi les 20 métiers distingués comme les plus vulnérables au risque économique dans une récente étude de France Stratégie, 19 se classent dans les catégories « moyennes » ou « défavorisées » dont sont majoritairement issus les élèves les plus en difficulté scolaire.
Des parents majoritairement investis mais aux ressources moins importantes pour les élèves les plus en difficulté
Le maintien du lien entre l’institution scolaire et la famille est déterminant dans l’exercice de la continuité pédagogique. De ce point de vue, un constat rassurant (déjà observé dans une étude de la DEPP portant sur les élèves de CP) est la forte implication des parents : 95 % d’entre eux ont rencontré l’enseignant au cours de l’année scolaire, quel que soit le niveau scolaire de l’élève. De la même manière, une écrasante majorité d’élèves est aidée dans le travail scolaire à la maison (90 % pour les élèves les plus fragiles scolairement et 82 % pour les élèves au meilleur niveau scolaire). Toutefois, c’est pour les élèves les plus en difficulté que l’absence d’accompagnement scolaire à la maison peut se révéler le plus dommageable.
Il reste que lorsque l’élève reçoit l’aide de ses parents, la qualité de ce soutien dépend des ressources mobilisables par ces derniers. Or, la part d’élèves dont les parents n’ont pas de diplôme s’élève à 20 % chez les élèves les plus en difficulté. Cela peut se manifester par une forte distance aux attendus de l’institution scolaire et donc à une moindre capacité d’aider les enfants dans le suivi des apprentissages. Dans une situation où les outils numériques ont pris une importance accrue, cette statistique soulève la question de l’inégale capacité d’appropriation de ces outils par les familles. L’INSEE estime ainsi dans une étude récente que parmi les titulaires d’aucun diplôme, 8 personnes sur 10 n’ont peu ou pas de capacités dans le domaine du numérique.
Conclusion
Ces statistiques sont certes incomplètes et ne prétendent pas dresser un tableau exhaustif des obstacles auxquels sont confrontés les élèves dans le suivi des apprentissages à distance. Elles montrent toutefois que pour certaines dimensions essentielles à la continuité pédagogique, le public le plus fragile scolairement est également celui qui est le moins bien outillé pour y faire face. Les inquiétudes exprimées dans le débat public quant au décrochage de certains élèves semblent donc bien légitimes. À ce jour, le ministère de l’Éducation nationale estime à 5 % le nombre de décrocheurs en métropole, qui sont définis comme la part d’élèves avec lesquels l’institution scolaire a perdu tout contact. Le décrochage est toutefois un cas extrême de rupture de continuité pédagogique et le constat présenté ici laisse craindre que de nombreux élèves en difficulté soient fragilisés par le suivi à distance des apprentissages. Alors que le système scolaire français se caractérise par une forte ségrégation scolaire et sociale (voir notamment cet état des lieux, réalisé par Son Thierry Ly et Arnaud Riegert pour le Conseil national d’évaluation du système scolaire et les études menées par l’IPP sur les collèges parisiens et les lycées franciliens), ces élèves risquent par ailleurs de se concentrer au sein des mêmes établissements, rendant leur prise en charge d’autant plus difficile pour la communauté éducative. Leur retour devra alors faire l’objet d’une vigilance particulière de la part des pouvoirs publics.
Je suis arrivé en France à 14 ans sans connaître un mot de Français, après une scolarité primaire partielle en Espagne
J’ai été premier du canton au certificat d’études deux ans après, grâce à l’aide de mon instituteur pendant les vacances et admis directement en 4èm d’accueil. j’ai enseigné les sciences de l’Education à l’Université en préparant ma thèse, grâce à d’autres aides, encouragements d’enseignants qui m’ont poussé à aller bien au delà de ce que je connaissais et croyais possible.
Ceci me semble la preuve que les plus démunis des enfants peuvent aller loin si l’école compense ce que les familles ne peuvent faire pour aider leurs enfants à exploiter leurs potentiels. L’école équitable est celle qui tente de donner à tous le minimum nécessaire à l’autonomie et à chacun ce qu’il a peu de chances de trouver ailleurs… On en est encore bien loin, sauf exceptions !