La première ministre, Mme Elisabeth Borne, a justifié la nécessité de la future réforme des retraites par le déficit cumulé des régimes des retraites : « Si on ne fait rien, nous aurons plus de 100 milliards d’euros de dette supplémentaire pour notre système de retraite dans les dix prochaines années. » dit-elle dans une interview dans Le Parisien. A l’inverse, les syndicats ont publié un communiqué commun mentionnant que « le système par répartition n’est pas en danger, y compris pour les jeunes générations. » Que penser de ces prises de position ? Quelle est la situation financière de notre système de retraite ?
Comment lire le rapport du Conseil d’orientation des retraites ?
Pour se faire une idée de la situation financière du système des retraites, il faut se plonger dans la lecture du dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (Cor). La difficulté tient au fait que le Cor propose pas moins de huit estimations du solde du système des retraites qui varient à l’horizon 2070 entre -1,8 % du PIB et + 1,5 % du PIB, autant dire une incertitude entre un fort déficit et un fort excédent.
Ces huit estimations correspondent à quatre scénarios de croissance de la productivité de long terme et deux hypothèses concernant le financement de l’Etat au système de retraite. Pourquoi ces hypothèses jouent-elles un tel rôle dans le solde projeté de notre système de retraite ?
Le solde du système des retraites dépend des hypothèses de croissance
On observe dans les simulations présentées par le Cor que le solde est d’autant plus négatif que la croissance est faible (hypothèse basse de 0,7 %) et d’autant plus faible, ou positif, si la croissance est forte (hypothèse haute de 1,6 %). Cet effet s’explique par le fait que depuis 1987 le calcul des retraites est déterminé par l’évolution des prix, à la fois dans la revalorisation des salaires passés et dans la revalorisation des retraites déjà liquidées. Avant cette date, les retraites étaient indexées sur la croissance des salaires.
Cette modification du calcul des retraites implique que les dépenses de retraites évoluent sous la dynamique de la démographie et des prix, mais beaucoup moins en fonction de l’évolution des revenus d’activité, et donc des cotisations prélevées sur ces revenus. Quand la croissance est forte, les dépenses de retraite progressent moins vite que les revenus, et le solde du système se résorbe. A l’inverse, si la croissance est faible, le solde du système se dégrade sous la dynamique de la démographie. La contrepartie de ces effets sur l’équilibre du système vient du côté du niveau des retraites : quand la croissance est forte, le niveau des pensions se dégrade plus fortement par rapport au niveau des salaires. Il s’agit bien d’un appauvrissement relatif des retraités.
Le solde du système des retraites dépend des hypothèses de financement de l’Etat
Deux hypothèses se font face concernant les futurs financements de l’Etat au système de retraite. Dans l’hypothèse dite « équilibre permanent des régimes ou EPR », l’hypothèse est faite que l’Etat-employeur équilibre toujours les régimes de la fonction publique de l’Etat et certains régimes spéciaux. Dans ce cadre, le solde est le solde des autres régimes qui ne sont pas équilibrés automatiquement.
Dans l’hypothèse « effort constant de l’Etat ou EEC », l’hypothèse est faite que l’Etat maintient constante la part de son financement dans ces régimes en pourcentage du PIB. Cela veut dire que le pourcentage consacré actuellement à financer les retraites des fonctionnaires serait alloué entièrement aux retraites des autres régimes si l’Etat décidait de réduire le nombre de fonctionnaires dans la population active. Comme l’Etat a de fait réduit progressivement le nombre de fonctionnaires en limitant les recrutements et en appliquant des plafonds d’emploi stricts, les régimes de retraite de la fonction publique d’Etat vont devenir excédentaires si l’Etat maintient également le même niveau de financement de ces régimes. L’hypothèse EEC suppose que ces excédents des régimes de fonctionnaires serviront intégralement à financer les retraites du secteur privé et des autres régimes.
Quelles hypothèses sont à préférer ?
L’hypothèse « équilibre permanent des régimes » a donc l’avantage de ne pas préempter les choix à faire sur l’utilisation des économies faites sur la fonction publique. Il est possible de choisir de réorienter les économies réalisées sur le nombre de fonctionnaires pour financer les retraites (pour revenir vers l’hypothèse EEC), mais il est aussi possible de vouloir financer d’autres dépenses publiques avec ces économies, voire vouloir revenir sur ces réductions de services publics si certains domaines apparaissent comme sous dotés.
Concernant les hypothèses de croissance, autant avouer tout de suite que personne ne sait quel sera le taux de croissance d’ici à 2070. Un système de retraite bien conçu ne devrait pas avoir une telle incertitude de son solde dépendant d’hypothèses de croissance difficilement maîtrisables. Pour autant, est-ce que les scénarios de croissance sont également plausibles ? Le rapport du Cor nous donne là quelques indications : l’hypothèse de croissance la plus faible (0,7 %) correspond à la moyenne sur la dernière décennie (2009-19) et l’hypothèse de croissance la plus forte (1,6 %) correspond à la moyenne depuis 1982. Dans le contexte de la transition climatique, on est en droit de trouver plus crédibles les hypothèses basses de croissance.
On se retrouve donc avec des projections dans la convention EPR et des hypothèses de croissance entre 0,7 et 1 % qui placent le solde du système de retraite en déficit de l’ordre de 0,5 % du PIB à l’horizon 2035, voire plus de 1 % du PIB à l’horizon très lointain de 2070.
Quel est le solde projeté à 10 ans ?
Et si malgré toutes ces explications, vous n’êtes pas à l’aise sur le choix d’une ou de l’autre hypothèse, une autre façon de lire les projections du Cor est de se restreindre à un horizon plus court, à 10 ans par exemple. Le graphique ci-dessous présente l’ensemble des huit scénarios de solde du système de retraite à l’horizon 2032. Quelles que soient les hypothèses retenues, le déficit du système se matérialise, avec un déficit de 0,3-0,4 % dans les 5 prochaines années et entre 0,5 et 0,8 % du PIB à 10 ans.
Le COR est-il trop optimiste ou trop pessimiste ?
On entend dire parfois que le Cor est trop optimiste dans ses hypothèses, ou à l’inverse qu’il est trop pessimiste, et qu’il reprendrait les hypothèses peu réalistes du gouvernement. En novembre 2021, le Cor avait organisé un colloque intitulé « Le COR est-il trop optimiste ? » pour discuter justement de ces critiques. Cela a conduit le conseil à réviser le choix de ses hypothèses de croissance en ajoutant une hypothèse plus basse (0,7 %) et en écartant une hypothèse élevée (1,8 %) jugée aujourd’hui peu crédible par un panel d’experts. La démarche était très louable, et rend ainsi ces critiques du Cor peu valables.
Par contre, il est un point où la prise en compte des hypothèses du gouvernement réduit la pertinence des projections du Cor. Le Cor est obligé, de façon réglementaire, de reprendre les projections de croissance du gouvernement telles qu’elles sont définies dans les documents envoyés à Bruxelles pour définir la trajectoire des finances publiques à cinq ans (le fameux programme de stabilité, ou PSTAB). Or, dans la trajectoire des finances publiques, le gouvernement inclut une réforme des retraites jouant à la hausse sur l’âge de la retraite. Le Cor prend donc pour base des hypothèses de croissance pour 2022-2027 basées sur l’hypothèse qu’une réforme des retraites aura lieu et qu’elle augmentera le PIB, pour informer le public et les partenaires sociaux sur la nécessité ou non d’une réforme des retraites… C’est pour le moins incohérent.
La conséquence de ces injonctions contradictoires est le fait que les projections du Cor sont trop optimistes sur la période du PSTAB, de 2022 à 2027, mais probablement trop pessimistes sur les cinq ans qui suivent quand le Cor raccorde les projections du gouvernement avec une baisse de la croissance et une hausse du chômage à ce moment-là. On peut lire également l’avis du Comité de suivi des retraites (CSR) qui analyse bien ces problèmes de projections. Paradoxalement, ce sont les hypothèses de croissance que le gouvernement impose au Cor qui conduisent à une présentation trop optimiste à court terme…
Peut-on conclure de ces analyses que le système de retraite est en danger ?
A la lumière des analyses du rapport du Cor, on est obligé de conclure que le système de retraite français est bien durablement en déficit, et que ce déficit n’est pas négligeable autour de 0,5 % du PIB. Cela conduit à un déficit annuel de 12 milliards d’euros, qui correspond à l’ordre de grandeur de « un peu plus de 100 milliards sur 10 ans » cité par la Première ministre en introduction de ce post de blog.
Pour autant, il ne s’agit pas d’un déficit explosif – comme cela a pu être le cas dans les années 1990, où la trajectoire des dépenses de retraites était non maîtrisée – mais plutôt d’un niveau de dépenses de retraites stabilisé à un niveau supérieur aux ressources qu’on y consacre. Les syndicats n’ont donc pas tort lorsqu’ils affirment que le système n’est pas en danger.
Si le système de retraite n’est pas en péril, le déficit est bien durable, et il y a donc un argument solide à vouloir remettre le système à l’équilibre sans trop attendre. Plus les choix difficiles seront reportés, plus l’ajustement nécessaire risque d’être important.
Si se mettre d’accord sur le constat de l’ampleur du déficit est un préalable essentiel pour avoir un débat politique bien fondé, cela n’implique pas un accord sur les modalités de la réforme à même de résoudre ce déficit. D’autres posts de ce blog viendront discuter justement de ces différentes options sur la table.