la fumée blanche s'échappe sous forme de point d'interrogation du toit du ministère du travail

Concertation sur les retraites : est-ce déjà bien parti pour être mal parti?

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17 janvier 2025Topics Retraites

Dans sa déclaration de politique générale prononcée mardi 14 janvier 2025 devant l’Assemblée nationale, le Premier ministre a annoncé vouloir remettre en chantier la question des retraites, pour répondre notamment aux revendications exprimées de façon continue depuis la dernière réforme. Une « mission flash » de quelques semaines sera ainsi confiée à la Cour des comptes pour « établir la réalité des chiffres », et une délégation permanente rassemblant les partenaires sociaux sur le sujet sera réunie en parallèle, dès le vendredi 17 janvier 2025. Sur la base des chiffres de la Cour des comptes, une conférence sociale, réunie en conclave, disposera ensuite de trois mois pour trouver « un accord d’équilibre et de meilleure justice » qui pourra être transcrit dans la prochaine loi de financement de la sécurité sociale – étant déjà annoncé que, sans accord, ce sont les règles actuelles issues de la dernière réforme qui continueront de s’appliquer.

Parler moins de la manière de faire, mais discuter davantage des cibles visées

Une telle concertation pourrait être l’occasion d’apporter enfin une clarification nécessaire sur la vision de chacun du système de retraite français : ses objectifs, ses arbitrages, son degré de redistribution et les modalités de celle-ci, etc. En d’autres termes, elle devrait avant tout avoir comme objet de répondre aux questions de fond sur ce que l’on vise : quel niveau de pension relatif, à quel âge, et pour quel taux de cotisation ? Malheureusement, si l’on en croit en tous cas les premières réactions dans la presse ou les médias sociaux, on peut craindre que ce ne soit pas le chemin qui sera pris spontanément. On peut voir en effet diverses demandes de paramétrage alternatif des âges et durées réglementaires, voire de changement de technique de calcul des droits (régimes en points) ou même de philosophie du système (capitalisation). Dans leur diversité, ces réactions partagent le fait qu’elles se focalisent sur les modalités techniques du système de retraite, et non sur les finalités et le cadre macroéconomique général de celui-ci. En d’autres termes, tout le monde se précipite déjà sur la question du « comment », mais la question, pourtant primordiale et prioritaire, du « pourquoi » semble bien partie pour être encore une fois laissée de côté.

Ce constat est en fait assez évocateur de la façon dont les réformes des retraites sont menées en France. En toute rigueur, de telles réformes devraient commencer par fixer les trajectoires-cibles que le législateur souhaite atteindre pour les grands paramètres du système (le niveau des pensions et des prélèvements, l’âge de départ, le degré de redistribution, etc.) puis, ensuite seulement, traduire ces cibles par un ensemble de mesures techniques supposées permettre leur mise en œuvre. Une telle méthode permet de clarifier le pilotage : si l’on constate après quelques années que le système n’a pas évolué comme attendu sous l’effet des mesures prises ou du contexte économique ou démographique, on est au moins en mesure d’apprécier sur quelle dimension de la retraite la divergence par rapport à la trajectoire-cible a eu lieu, et donc dans quel sens les ajustements des paramètres doivent être menés. Toutefois, les réformes menées en France suivent en réalité et en pratique une logique instrumentale : elles se résument souvent à une collection de mesures techniques, associées à un unique objectif de trajectoire financière de retour à l’équilibre, complété dans les études d’impact par des résultats de simulations sur la proportion et le profil des « gagnants » et des « perdants » de la réforme – censés permettre l’analyse de ses effets sociaux. La trajectoire prévue après réforme pour les leviers fondamentaux du système n’est pas systématiquement présentée dans les études d’impact ni discutée par le Parlement, et il faut bien souvent attendre le rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites de l’année qui suit le vote de la réforme pour en avoir connaissance. C’était le cas par exemple lors de la dernière réforme en 2023 : malgré sa grande richesse, le rapport sur les objectifs et les effets du projet de réforme des retraites ne présentait pas de simulations des effets après réforme, toutes mesures comprises, des évolutions du niveau relatif moyen des retraites, de l’âge de départ ou du taux de prélèvement global.

Cette façon de n’axer la discussion que sur les modalités techniques plutôt que sur les finalités et les cibles est contre-productive, si ce n’est dommageable à plusieurs raisons. Elle entretient d’une part une sorte de pensée magique, qui laisse penser qu’il existe une combinaison particulière des paramètres réglementaires ou des modalités de calcul qui permettrait miraculeusement d’améliorer la situation pour toutes et tous (partir à la retraite plus tôt avec des pensions plus élevées sans augmenter les cotisations) et que toute la discussion doit donc consister à découvrir cette combinaison miraculeuse. Elle laisse aussi penser que les propriétés fondamentales du système – sa soutenabilité, sa redistributivité ou son équité – tiennent uniquement à des considérations de technique mise en œuvre. C’est bien évidemment faux : une technique de calcul en points plutôt qu’en annuités n’apporte par exemple ni n’enlève par nature aucun financement au système, ni ne le rend plus ou moins redistributif. Il est possible de paramétrer un régime en points de façon fortement redistributive, ou à l’inverse de paramétrer un régime en annuité pour qu’il reste purement contributif.

L’approche instrumentale des réformes, réduites à une suite de propositions techniques faites par les uns et les autres, biaise enfin souvent le débat, en brouillant la compréhension des effets réels des choix réalisés. Comme il n’est pas possible de vérifier, par de nouvelles simulations réalisées en temps réel, les conséquences des mesures proposées, les discussions s’appuient trop souvent sur des a priori sur ces effets, a priori qui sont eux-mêmes bâtis sur la base d’une vision simplificatrice, et souvent erronée, de la réalité des carrières. C’est ainsi, par exemple, que des mesures de relèvement de l’âge minimal légal sont vues à tort comme ne touchant que les assurés les plus modestes, tandis que des mesures d’allongement de la durée requise sont supposées toucher surtout les plus aisés. Ces écueils sont inévitables avec une telle approche : le système de retraite français est trop complexe et les carrières trop diverses pour que quiconque soit capable d’apprécier les conséquences de modifications des règles sur la base d’une simple réflexion théorique. Des simulations précises sont indispensables pour juger de telles conséquences, et c’est pour cette raison, entre autres, qu’il vaut mieux, dans le cadre d’une concertation sur le système de retraite, centrer la discussion d’abord sur les résultats que l’on souhaite atteindre compte tenu des ressources que l’on est prêt à y consacrer, en voyant ensuite quelles mesures sont susceptibles de les mettre en œuvre, plutôt que d’épuiser d’abord le débat sur le choix de mesures, en se disant que l’on ne se souciera que dans un second temps de vérifier si elles ont effectivement les effets qu’on leur suppose.

Quelles questions pour la conférence sociale à venir ?

Par quelles questions faudrait-il donc commencer pour bien amorcer le débat ? La problématique est tellement complexe que toute tentative d’y répondre sera forcément vue comme réductrice, et attirera la critique à ce titre. Cela étant dit, la suite de ce billet essaie de proposer quelques questions de fond pour organiser la discussion.

Un système de retraite par répartition revient, sur le fond, à financer les pensions des retraités à partir des cotisations des actifs. Son dimensionnement dépend fondamentalement de trois grandeurs – le niveau moyen des pensions relativement au niveau moyen des revenus d’activité, le taux des prélèvements sur ces revenus d’activité, et l’âge moyen de départ à la retraite – dont la combinaison doit garantir l’équilibre financier global, compte tenu du contexte démographique et économique, notamment des effectifs de cotisants et de retraités. Il nous semble que la discussion devrait par conséquent, avant toute chose, chercher à clarifier la cible visée pour chacune de ces trois grandeurs, et ce non seulement à un moment donné (aujourd’hui ou à une date-horizon particulière) mais également pour chaque année sur toute la période de pilotage considérée (soit a minima pour la vingtaine d’années à venir), sous la forme d’une trajectoire. La question de répartition des efforts et de redistribution entre les assurés est bien sûr également très importante et devra être abordée dans un second temps, mais elle ne doit pas servir de prétexte à mettre de côté la question des fondamentaux macroéconomiques du système, par la fixation des valeurs moyennes de ses grands leviers.

Commençons par la pension moyenne. La retraite de droit direct moyenne est, d’après la DREES, de 1 626 euros par mois en 2022 (avant prélèvements sociaux), soit un peu plus de 50 % du revenu d’activité moyen brut. Ce ratio permet aujourd’hui, compte tenu de la différence de prélèvements sociaux sur les retraites et les revenus d’activité, des autres revenus dont disposent les retraités, du fait qu’ils sont plus souvent propriétaires de leur logement, et de la différence de structure de leurs ménages par rapport à ceux des actifs (notamment le fait qu’ils ont beaucoup moins souvent des enfants encore à charge) d’assurer, en moyenne, un niveau de vie assez proche de celui de ces derniers. En projection, en revanche, la situation relative des retraités se dégraderait progressivement. Le rapport entre la retraite moyenne brute et le revenu moyen d’activité ne serait par exemple plus que de 45 % en 2050, soit une baisse d’environ 12 % par rapport à 2022, et le niveau de vie moyen des retraités serait en conséquence de 13 % en-dessous du niveau de vie moyen de l’ensemble de la population. S’il fallait en outre assurer l’équilibre financier du système de retraite dans le cadre du scénario de référence du COR, à autres paramètres (cotisations et déterminant de l’âge de départ) donnés, la baisse du niveau relatif de pension devrait être d’environ 18 % à l’horizon de 2050.

L’état actuel du débat sur le niveau des pensions relève ainsi d’un certain paradoxe. D’un côté, beaucoup semblent considérer que le niveau actuel des retraites est déjà trop faible, et qu’il n’est donc guère possible d’envisager des mesures qui réduiraient le pouvoir d’achat des retraités actuels – c’est notamment ce qui semblait ressortir des débats, à l’automne, sur l’éventuel report de la revalorisation des retraites. De l’autre, presque tous les participants aux débats paraissent considérer que les efforts de retour à l’équilibre à rechercher correspondent uniquement au besoin de financement projeté dans le scénario de référence du COR : en d’autres termes, personne ne semble remettre en cause la diminution spontanée sous l’effet des règles actuelles, puisque personne ne défend l’idée qu’il faudrait rechercher des efforts encore plus grands afin de contrecarrer la baisse relative des pensions des retraités futurs. La contingence de ces deux positions traduit un des paradoxes importants du pilotage actuel des retraites, qu’une concertation à venir devrait lever. De deux choses l’une en effet : soit c’est le niveau actuel des retraites qui doit constituer la référence pour tous les retraités, quelle que soit leur génération, et il faut alors accepter que des efforts bien plus grands soient menés sur l’âge de départ ou les prélèvements sur les revenus des actifs ; soit on considère qu’un niveau plus faible – tel qu’on le prévoit pour les retraités futurs – est en fait acceptable, et il reste alors à expliquer sur quels fondements s’appuie la différence de traitement entre les générations actuelles et futures de retraités, et à partir de quand et selon quel rythme la transition entre les deux peut et doit être organisée.

Un aspect important du pilotage du niveau des retraites dans le système français concerne en particulier les conséquences des règles de revalorisation des pensions. Cette problématique et les enjeux techniques associés sont déjà bien connus (ils sont détaillés par exemple dans divers travaux de Didier Blanchet ici et ici) mais il convient qu’une future concertation sur les retraites se saisisse aussi de ses enjeux plus politiques. Le premier est que tant que les règles actuelles de revalorisations des retraites selon l’inflation resteront en vigueur, la soutenabilité financière du système de retraite ne pourra pas être considérée comme assurée, même si des efforts importants sur l’un ou plusieurs des trois grands leviers ont été ou sont à nouveau réalisés : cette soutenabilité restera toujours gagée sur un pari fait sur un rythme minimum de croissance de la productivité à long terme – les efforts réalisés permettant juste de diminuer le rythme qui est suffisant pour a minima équilibrer le système. On peut ainsi conserver les modalités actuelles d’indexation sur l’inflation, mais il faut alors garder en tête que la soutenabilité financière du système des retraites reste conditionnelle, et qu’il pourra être nécessaire de rouvrir régulièrement le sujet et de demander de nouveaux efforts aux retraités ou aux actifs. Si l’on souhaite à l’inverse s’affranchir de cette dépendance de l’équilibre financier au rythme de croissance de la productivité, il n’y a pas d’autre solution que de revoir les règles d’indexation – et il faudra alors accepter que les nouvelles règles puissent, en cas de croissance faible, conduire spontanément à des revalorisations moins généreuses qu’aujourd’hui. Un second enjeu tient au hiatus entre le fait que, pour la soutenabilité financière du système, c’est le niveau relatif des pensions qui importe (exprimé en % du revenu d’activité moyen) alors que dans le débat public, c’est souvent le niveau absolu qui est débattu (c’est-à-dire le pouvoir d’achat de pensions, exprimé en euros). Or les évolutions comparées de ces deux niveaux dépendent du contexte de croissance des revenus d’activité : si, en cas de croissance suffisamment élevée, il est possible de réduire le niveau relatif des pensions tout en assurant un maintien de leur pouvoir d’achat dans l’absolu, cela est impossible si la croissance est trop faible. Une concertation sur les retraites devrait donc aborder l’éventualité et les conséquences d’une croissance durablement faible – par exemple du fait de la sobriété nécessaire dans le cadre de la lutte contre le changement climatique : dans un tel cas de figure, il pourrait être nécessaire d’accepter le principe de pouvoir réduire durablement le niveau des retraites dans l’absolu, tout le moins pour certains retraités, ou bien d’accepter de faire porter des efforts encore plus grands sur les actifs, par des cotisations plus élevées ou par un âge de départ encore plus tardif. Quelle que soit l’orientation prise, les mesures nécessaires seront fortement impopulaires, ce qui rend d’autant plus important qu’elles soient abordées et clarifiées dans la concertation.

Une fois précisé le niveau moyen des retraites qui est visé, la discussion devrait porter sur les inégalités de retraites entre assurés. La complexité tient ici à la tension entre le caractère fondamentalement contributif des retraites dans le système français (qui fait que les montants de pension dépendent de la façon dont chaque assuré a contribué au système, et sont donc naturellement plus ou moins élevés selon la durée de carrière et le niveau de revenus d’activité de ces assurés) et l’objectif de garantir un niveau de vie suffisant pour tous les retraités. La question peut ainsi être formulée de la manière suivante : dans quelle mesure et jusqu’à où accepte-t-on de s’écarter de la contributivité stricte pour mettre en œuvre une redistribution verticale des plus hauts salaires et/ou de ceux qui ont travaillé longtemps vers les plus bas salaires et/ou ceux qui ont travaillé le moins longtemps. Il est difficile de lister tous les enjeux derrière cette question, mais une façon de l’aborder dans une future concertation sur les retraites pourrait consister à soulever le débat sur une plus grande progressivité des taux de remplacement entre les revenus d’activité et la retraite. Cette progressivité existe déjà actuellement, du fait du jeu des minima de pension et de l’articulation entre régimes de base et complémentaires, mais il serait possible d’aller plus loin et de la mettre en œuvre de façon plus régulière sur toute l’échelle des salaires dans les régimes de base. La raison pour laquelle elle nous semble pertinente est que le débat public a en réalité déjà été amorcé : l’idée d’une différenciation selon le montant de retraite en cas de sous-indexation des pensions, qui semble avoir fait consensus au Parlement, revient de facto à rendre plus progressif le lien entre la pension (en moyenne sur toute la période de retraite) et les revenus d’activité. Or, si on est prêt à mettre en œuvre cette progressivité en cours de période de retraite, il n’y a pas de raison a priori de l’exclure pour le calcul de la pension à la liquidation des droits.

Venons-en maintenant à la question de l’âge de départ à la retraite, en commençant, comme pour le niveau de pension, par discuter son niveau moyen avant d’évoquer les inégalités entre assurés. L’âge dont il est ici question est l’âge effectif de départ , et non les divers paramètres réglementaires (les âges légaux notamment) qui influent sur celui-ci. L’âge moyen est aujourd’hui d’un peu plus de 63 ans. Il augmenterait régulièrement, sous l’effet notamment des dernières réformes, jusqu’au milieu des années 2030, pour se stabiliser ensuite autour de 64 ans et demi. La rapidité de montée en charge des réformes – les calendriers de relèvement des paramètres étant en particulier nettement plus rapides que la hausse de l’espérance de vie – se traduit par des disparités marquées de durées de retraites entre les générations. La durée moyenne de retraite représenterait ainsi 30 % de la durée de vie totale pour la génération née en 1950, contre 27 % pour celles nées à la fin des années 1960.

Le pilotage de l’âge effectif moyen de départ à la retraite dans le système français relève en effet du paradoxe : c’est un aspect de la retraite pour lequel le législateur est allé le plus loin dans la formulation d’une règle de pilotage selon une notion d’équité explicite (avec le principe formulé en 2003 d’un partage des gains d’espérance de vie entre durée de retraite et durée de carrière, permettant de stabiliser la part de chacune dans la durée de vie totale) mais c’est aussi l’aspect pour lequel le principe d’équité entre les générations a été le moins respecté récemment, dans la mesure où le levier d’âge a été considéré comme le seul sur lequel des évolutions fortes et rapides pouvaient être menées. L’âge effectif moyen de départ à la retraite est en effet traité comme un levier par défaut : s’il a été fortement actionné lors des réformes récentes, en jouant sur divers paramètres légaux qui le déterminent, ce n’est pas uniquement au regard d’un objectif spécifique portant sur les durées de retraite ou de carrière, mais c’est aussi parce que les deux autres leviers (niveaux des cotisations et de retraites) n’ont pas été jugés susceptibles d’être actionnés de façon suffisamment forte et rapide pour obtenir les effets financiers désirés.

Cette contrainte est réelle et doit être prise en compte. Si l’on souhaite réellement assurer qu’il y ait moins d’inégalités de durée de retraite entre les générations, il faut soit programmer l’évolution des paramètres déterminant l’âge de départ très longtemps à l’avance, de façon à pouvoir mettre en œuvre une montée en charge graduelle, et s’y tenir, soit accepter que les évolutions rapides nécessaires pour la soutenabilité du système portent sur l’un ou l’autre des deux autres leviers – et donc accepter sur ces autres leviers le caractère « brutal » qui ne manquera pas d’être ressenti dès lors qu’une évolution forte et rapide est mise en œuvre. L’existence d’un principe d’équité clarifié mérite d’être maintenu, même s’il semble difficilement envisageable de conserver comme référence le partage entre durée de retraite et durée de carrière observé en 2003. La concertation sur les retraites pourrait ainsi discuter du maintien ou non d’une cible de stabilisation de la part de la durée de retraite dans la durée de vie totale à long terme, la nouvelle valeur cible à retenir et la génération à partir de laquelle on souhaite l’atteindre.

Concernant l’âge de départ à la retraite, c’est cependant la disparité des situations, bien davantage que l’âge moyen qui attire l’attention, cristallise les débats, et en explique souvent la virulence. Le cadre réglementaire en la matière est extrêmement complexe et induit de fortes inégalités quant aux possibilités de partir à la retraite. Les principaux âges charnières prennent des valeurs différentes d’un assuré à l’autre : l’âge minimal d’ouverture des droits (dit « âge légal ») varie ainsi entre 60 et 64 ans selon les caractéristiques de carrière des assurés, et l’âge d’obtention du taux plein (c’est-à-dire l’âge à partir duquel il est possible de percevoir sa pension sans une minoration appelée « décote ») entre 60 et 67 ans. Cette grande diversité est le fruit de réformes qui, à partir des années 1970 jusqu’au début des années 2000, ont cherché à abaisser l’âge de départ à la retraite pour les assurés les plus « usés » ou appartenant aux catégories les moins diplômées. Toutefois, si la vision schématique des carrières sur laquelle s’appuyaient ces réformes semble encore correspondre à la clé de lecture reprise par beaucoup de participants au débat aujourd’hui, force est de constater que le résultat est loin de l’intention annoncée. C’est aujourd’hui parmi les personnes à plus faible retraite que les départs à la retraite sont en moyenne les plus tardifs, tandis que c’est pour des retraités appartenant à la moitié supérieure de la distribution des pensions que l’âge moyen de départ est le plus bas et que les possibilités de départ anticipé sont les plus fréquentes. Concernant ces derniers, l’âge minimal possible de départ reste plus élevé en cas d’inaptitude reconnue à travailler (62 ans) qu’en cas de réalisation d’une carrière complète passée pour l’essentiel en emploi (60 ans pour les départs anticipés au titre des carrières dites « longues » – la condition que la carrière soit plus longue que la durée requise ayant en réalité été supprimée en 2012). Une concertation sur les retraites ne peut pas prétendre rendre plus juste les règles déterminant les âges de départ à la retraite en se contentant de discuter les valeurs actuelles des paramètres, sans en questionner plus généralement leur articulation. Comme on le détaillait dans une note récente, un tel objectif de justice semble difficilement atteignable sans une remise à plat complète des règles d’âge et d’obtention du taux plein.

Reste enfin la question des prélèvements dont proviennent les ressources du système, et en particulier de leur taux et de leur assiette. Le fait de les mentionner en troisième position dans ce billet ne signifie en aucune manière que cette question ne doit être soulevée que dans un second temps, après les deux premières. Bien au contraire : niveau relatif des pensions, âge effectif moyen de départ et taux et assiettes de prélèvement doivent être débattus et définis conjointement, puisque par nature certaines combinaisons seulement de ces trois dimensions, assurant l’équilibre financier global du système, sont possibles. Toute volonté d’améliorer la générosité du système sur une dimension a mécaniquement pour contrepartie des efforts accrus sur l’une ou les deux autres, et réciproquement. Il n’est donc pas possible de séquencer la réflexion en prenant chaque dimension indépendamment l’une de l’autre.

Dans un système de retraite par répartition, les ressources « naturelles » correspondent aux cotisations prélevées sur les revenus des actifs, et le pilotage devrait donc – si la part des revenus d’activité dans la valeur ajoutée reste constante – ne concerner que le choix des taux de cotisation. Dans le système français, les cotisations sociales ont cependant été progressivement complétées par diverses autres ressources, pour plusieurs raisons : notamment afin de limiter la pression sur les revenus du travail (dans une optique d’incitation à l’activité et de faire que « le travail paie ») et parce que le système de retraite a dû intégrer certaines dépenses relevant d’autres politiques, pour lesquelles des prélèvements assis sur d’autres assiettes que les revenus du travail semblaient plus légitimes (cas par exemple des droits familiaux de retraite, dont on peut juger qu’ils relèvent de la politique familiale davantage que de la politique de retraite proprement dite, et pour lesquels un financement par la branche famille peut apparaître plus légitime). L’existence de ces autres ressources tient aussi à la fragmentation du système en une pluralité de régimes, dont les situations démographiques sont disparates, ce qui a conduit à mettre en place des subventions et transferts d’équilibre vers certains régimes dont la démographie est dégradée.

Cette complexité a entre autres pour conséquence que la dynamique des ressources ne suit pas spontanément celle des revenus d’activité, et n’évolue donc pas comme le PIB. Si les ressources du système de retraite représentent aujourd’hui 13,5 % du PIB, elles diminueraient progressivement à l’avenir, par le simple effet de l’application des règles en vigueur, pour atteindre 12,4 % en 2070. Le poids des ressources du système de retraite dans le PIB diminuerait ainsi de façon tendancielle, alors même que, dans le même temps, la part des retraités dans la population augmentera. Une telle diminution n’est pas en soi un problème, si elle traduit une volonté explicite du législateur de réduire la part de la richesse nationale consacrée aux retraites. On peut rappeler à cet égard que cette proportion de 12,4 % qui serait spontanément atteinte en 2070 est égale à celle constatée en 2008, et que l’augmentation de 1,4 point de PIB entre 2008 et 2014, qui a abouti aux niveaux observés aujourd’hui, correspond davantage aux effets de la crise qu’à une réelle intention explicite du législateur. Ce qui pose davantage question est que ni le rythme, ni l’ampleur in fine de la diminution à venir n’ont en réalité été discutés en tant que tels dans le cadre d’un débat accompagnant une réforme des retraites. C’est la simple application mécanique des règles actuelles qui déterminent cette ampleur et ce rythme, alors qu’une discussion explicite en serait légitime.

Au-delà du taux moyen de prélèvement, de nombreuses questions méritent d’être soulevées sur la nature et le poids des diverses ressources dans l’ensemble du financement des retraites en France. L’un des enjeux est notamment de définir ce qui, parmi les dépenses de retraite en France, relève sans conteste de la politique de retraite proprement dite, pour laquelle le financement « naturel » en répartition est constitué de cotisations prélevées sur les revenus du travail, et ce qui relève davantage de la prise en charge par le système de retraite de dépenses qui, en toute rigueur, répondent aux finalités d’autres politiques, pour lesquelles l’apport de ressources externes prélevées sur d’autres assiettes peut être justifié. Cette distinction n’a rien d’évident, et elle ne correspond pas nécessairement à celle entre « contributivité » et « solidarité » au sein des règles de calcul des retraites – une redistribution entre affiliés pouvant avoir toute sa place parmi les finalités d’un système de retraite. Signalons que ce débat est rendu d’autant plus complexe par la fragmentation du système de retraite en différents régimes de base et complémentaires selon une logique sectorielle et avec des situations démographiques très différentes d’un secteur à l’autre. Cette fragmentation est source de complexité car l’un des éléments de débat est de savoir dans quelle mesure un éventuel accroissement des efforts (par la hausse des taux de cotisation par exemple) devrait être spécifique à certains régimes – s’il se justifie par un besoin de financement lié lui aussi à des modalités spécifiques à ce régime pour l’âge de départ ou le niveau de pension – ou à l’inverse commun à l’ensemble des assurés – s’il se justifie par l’équilibrage général du système. Examiner la situation financière de chaque régime ne permet pas de trancher ce débat, car celle-ci tient à la situation démographique du régime tout autant qu’à sa générosité relative par rapport aux autres. Or, comme l’a montré un rapport récent de la Cour des comptes, le mécanisme actuel de compensation démographique ne rend compte que de façon très imparfaite des différences réelles de situation démographique des régimes, et tous les comptes par régime s’avèrent donc biaisés. Là encore, une remise à plat de ces mécanismes – si ce n’est, de façon plus ambitieuse, de la structuration par régimes du système de retraite français – serait pleinement légitime dans le cadre d’une concertation à venir sur les retraites.



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