Quel âge de départ à la retraite après quel métier ?

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10 avril 2025Topics Retraites

Dans les débats sur la retraite en France, l’âge de départ est aujourd’hui l’une des questions les plus débattues et les plus polémiques. Elle occupe à n’en point douter une grande partie des discussions entre les partenaires sociaux dans le cadre de la délégation paritaire permanente (le « conclave ») installée il y a quelques semaines – et que certaines organisations ont déjà quitté depuis –, puisque c’est notamment du fait de l’opposition toujours vive des organisations syndicales au relèvement de l’âge, programmé par la dernière réforme des retraites, que cette délégation a vu le jour.

La critique de la réforme est connue. Elle est habituellement formulée de la façon suivante : parce qu’elle met en œuvre une hausse de l’âge minimal d’ouverture des droits, de 62 à 64 ans, cette réforme toucherait en premier lieu les assurés qui partent à la retraite le plus tôt, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas ou peu fait d’études, qui ont donc commencé à travailler plus tôt, et qui atteignent pour cette raison leur durée requise plus jeunes. Elle demanderait ainsi davantage d’efforts aux moins diplômés et aux moins qualifiés qu’à ceux ou celles qui ont fait des études longues. Elle serait pour cette raison socialement injuste.

On sait aussi, cependant, que cet argumentaire est fragile, et doit être pris avec précaution. Il n’y a en effet pas de corrélation évidente entre niveau de qualification, âge de début de carrière, et âge moyen de départ à la retraite. Dans une note parue en 2022, on a montré que ce sont en réalité les catégories de qualification intermédiaire (employés et ouvriers qualifiés, techniciens et agents de maîtrise) qui partent à la retraite le plus tôt, les moins qualifiés et moins diplômés (ouvriers et employés non qualifiés) liquidant leurs droits à un âge en moyenne plus élevé, similaire à celui des cadres. Dans un billet de blog récent, on a aussi montré que les retraités à plus faibles pensions ne peuvent, dans le système actuel, partir au taux plein que nettement plus tard que les autres, tandis que ce sont les retraités qui se situent juste en-dessous des 20 % à plus haute retraite qui partent le plus tôt.

Ces catégories peuvent toutefois paraître trop larges ou trop abstraites. Dans le débat public, ce ne sont pas les situations des déciles de pension qui sont discutées, mais celles de métiers : ce sont ainsi l’image de « la femme de ménage au dos cassé » ou celle de « l’ouvrier du bâtiment usé » qui étaient, par exemple, évoquées pour illustrer les débats et critiquer la réforme. Or, malgré la grande richesse des données statistiques disponibles sur les retraites, il n’existe pas, pour l’instant, d’informations sur les âges de départ à la retraite par métier – et cela manque au débat. L’institut des politiques publiques (IPP) a donc constitué, et met à disposition aujourd’hui, une nouvelle base de données sur les âges moyens de départ à la retraite des différentes professions, tels qu’ils sont observés juste avant la dernière réforme. En complément, une application interactive en ligne permet de l’explorer et de visualiser les divers indicateurs.

NB1 : Pour une navigation sur mobile, il est recommandé de consulter les graphiques animés directement depuis l’application interactive.

NB2 : La base de données sur laquelle s’appuient ce billet et cette application sont téléchargeables, ainsi que la documentation méthodologique associée.

Ces données s’appuient sur les informations de l’Enquête Emploi de l’Insee, qui constitue l’une des sources statistiques de référence sur les situations d’activité et les carrières. La ventilation par métier retenue suit la nomenclature des professions et catégories sociales (PCS), elle aussi élaborée par l’Insee. La période d’observation va du deuxième trimestre de 2022 au troisième trimestre de 2023, c’est-à-dire la période qui se situe juste après la pleine montée en charge de la réforme des retraites de 2010, mais juste avant que les premiers effets de celle de 2023 commencent à se faire sentir. Sur cette période, l’âge minimal légal est ainsi de 62 ans (des départs anticipés restant possibles avant cet âge dans le cadre de dispositifs de départ anticipé) et l’âge d’annulation de la décote (c’est-à-dire d’obtention automatique du taux plein, même en cas de carrière incomplète) de 67 ans. L’âge moyen de départ à la retraite qui est calculé correspond à l’âge dit « conjoncturel » : il s’agit, pour chaque profession, de l’âge moyen de départ à la retraite d’une génération fictive qui aurait, à chaque âge, la probabilité d’être à la retraite observée en 2022-2023 parmi toutes les personnes qui exercent ou ont exercé cette profession. L’enquête Emploi est réalisée sur un échantillon de la population, et les âges moyens de départ à la retraite sont donc estimés avec une marge d’erreur. Celle-ci est indiquée dans la base de données et sur l’application interactive. Pour certaines professions, plus rares, l’âge moyen n’est estimé qu’à +/- 1 an près, voire un peu plus, et les résultats doivent dès lors être pris avec prudence.

Qu’apprend-on d’une analyse des âges de départ à la retraite à un niveau plus fin de professions ? On retrouve le fait que ce sont parmi les niveaux de qualifications intermédiaires qu’on observe les départs le plus tôt, tandis que la plupart des métiers peu ou à l’inverse très qualifiés partent généralement à la retraite plus tard (graphique 1). L’hétérogénéité est toutefois marquée également au sein de chaque groupe de qualification, si bien que certaines professions parmi les plus qualifiées partent à la retraite plus tôt que d’autres qui le sont nettement moins. Les premières sont donc à ce titre a priori davantage touchées par la réforme que les secondes. Ainsi, les cadres commerciaux ou les ingénieurs et cadres de production, par exemple, liquident leurs droits à la retraite à 62,5 ou 62,6 ans en moyenne en 2022-2023, alors que les ouvrières et ouvriers du nettoyage ou les agentes ou agents de service de nettoyage dans le public (professions comptant, en fin de carrière, 80 % de femmes) partent à la retraite, avant la réforme déjà, à 64,1 ans en moyenne. Par ailleurs, alors que de nombreux métiers d’ouvriers qualifiés ou de techniciens bénéficient fréquemment des dispositifs de départ anticipé, et ont pour cette raison un âge moyen de départ à la retraite plus bas que l’âge minimal de droit commun (62 ans avant réforme), ce n’est pas non plus systématique. Les chauffeurs-livreurs ou conducteurs de la collecte de déchets partent par exemple à 63,1 ans en moyenne, et les assistants de service social à 62,8 ans.

Graphique 1 : âge conjoncturel de départ à la retraite selon la qualification

Lecture : passer le curseur de la souris pour afficher les professions correspondant à chaque point, ou explorer directement la base de données sur l’application interactive.

Sources : Enquêtes Emploi (Insee). Traitements : Patrick Aubert (IPP).

Pour certaines professions, ce sont des possibilités spécifiques de départ anticipé directement liées au métier qui expliquent l’âge moyen de départ à la retraite plus bas – notamment pour des métiers classés (ou anciennement classés) en catégories dites « actives » dans la fonction publique (infirmiers, aides-soignants, policiers…), ou qui s’exercent principalement dans certains régimes spéciaux (conducteurs de train…), ou encore qui bénéficient d’un droit automatique à certains dispositifs de départ anticipé (dockers…) Dans la plupart des cas néanmoins, les disparités observées ne tiennent pas au métier lui-même (puisque les mêmes règles s’appliquent à tous) mais aux caractéristiques des personnes qui les exercent. L’âge moyen élevé de départ observé pour la plupart des professions d’employés non qualifiés tient ainsi, vraisemblablement, au fait qu’elles sont exercées principalement par des femmes dont la carrière a été interrompue (sans doute pour élever leurs enfants) et qui doivent donc attendre l’âge d’annulation de la décote de 67 ans pour liquider leurs droits à taux plein. De même, l’âge moyen de départ plus élevé pour certains métiers d’ouvriers peu qualifiés (manutentionnaires, ouvriers peu qualifiés du bâtiment…) pourrait tenir au fait qu’ils sont plus fréquemment exercés par des personnes dont la trajectoire de carrière a été précaire, ou qui ne sont arrivées en France qu’en cours de vie active, et qui n’atteignent donc elles aussi le taux plein que plus tardivement.

Pour autant, partir à la retraite plus tard ne signifie pas forcément travailler plus longtemps en fin de carrière. Dans certaines professions où l’âge moyen de départ est élevé, une grande partie des assurés ont en réalité cessé de travailler plusieurs années avant la liquidation de leurs droits à la retraite. L’opposition est, là, assez nette selon le niveau de qualification : quasiment toutes les professions d’ingénieurs et cadres ou de techniciens passent plus de 80 % de la durée entre 50 ans et leur départ à la retraite en emploi, tandis que la proportion est plus faible (et parfois inférieure à 60 %) parmi les professions moins qualifiées (graphique 2). Les ouvriers peu qualifiés du gros oeuvre du bâtiment, par exemple, partent ainsi à la retraite à 64 ans en moyenne, mais passent moins de 6 ans en emploi entre 50 ans et cet âge (soit 42 % de la durée entre 50 ans et le départ à la retraite).

Graphique 2 : âge conjoncturel de départ à la retraite selon la proportion de la durée passée en emploi entre 50 ans et le départ à la retraite

Note : la proportion indiquée sur l’axe horizontal correspond à la part de la durée qui est passée en emploi entre l’âge de 50 ans et celui du départ à la retraite. Une valeur de 100% signifie que, pour toutes les personnes exerçant ou ayant exercé la profession, la totalité de la période entre 50 ans et l’âge de la retraite est passée en emploi. Une valeur de 50% signifie en revanche, par exemple, que la moitié seulement de cette période est, en moyenne, passée en emploi, l’autre moitié étant passée dans une situation de non-emploi autre que la retraite (chômage, inactivité…)

Lecture : passer le curseur de la souris pour afficher les professions correspondant à chaque point, ou explorer directement la base de données sur l’application interactive.

Sources : Enquêtes Emploi (Insee). Traitements : Patrick Aubert (IPP).

Ces écarts entre l’âge moyen de départ à la retraite et la sortie d’emploi, plus ou moins marqués selon le niveau de qualification, peuvent tenir, pour partie, à l’état de santé des personnes. Davantage de personnes se déclarent limitées dans les activités que les gens font habituellement, que ce soit fortement ou non, parmi les personnes exerçant ou ayant exercé les professions les moins qualifiées que parmi les plus qualifiées (graphique 3). La proportion de personnes déclarant des limitations ne semble malgré tout, dans l’absolu, guère corrélée à l’âge moyen de départ à la retraite : on observe des âges de départs élevés et d’autres bas parmi les professions qui comptent de nombreuses personnes déclarant des limitations, et il en est de même parmi celles en déclarent relativement peu. Ce résultat peut surprendre, compte tenu de l’existence du dispositif de départ pour inaptitude, qui permet de liquider ses droits à taux plein dès l’âge minimal d’ouverture des droits en cas de reconnaissance d’une inaptitude au travail. Le fait que certaines professions aient un âge moyen de départ élevé malgré la grande proportion de personnes déclarant des limitations dans les activités du quotidien peut signifier que ces limitations ne sont pas assez marquées pour conduire à une reconnaissance d’inaptitude (notamment lorsque ces limitations sont déclarées comme « pas fortes »), ou bien que certains assurés, par manque d’information sur le dispositif ou pour une autre raison, ne sollicitent pas cette reconnaissance. Il peut signifier aussi, plus simplement, que la proportion de personnes ayant eu une carrière incomplète parmi celles qui ont exercé la profession est telle que la part de celles reconnues inaptes (et pouvant partir à ce titre à l’âge minimal) ne suffit pas à contrebalancer, en termes d’impact sur l’âge moyen de départ, la proportion élevée de celles qui doivent attendre 67 ans pour liquider leur retraite à taux plein.

Rappelons que l’observation d’une proportion élevée de personnes déclarant des limitations dans certaines professions ne signifie pas que celles-ci sont la conséquence du métier exercé. Dans certains cas, la causalité pourrait être inverse (certaines professions peuvent être plus facilement exercées par les personnes handicapées), et la proportion élevée peut tenir à d’autres facteurs que le métier. Rappelons aussi que les proportions de personnes déclarant des limitations sont calculées parmi l’ensemble des personnes ayant entre 50 et 70 ans, y compris les retraités et les personnes sorties d’emploi, rattachées pour le calcul à leur dernière profession exercée.

Graphique 3 : âge conjoncturel de départ à la retraite selon la proportion de personnes déclarant des limitations (fortes ou non) dans les activités que les gens font habituellement

Note : la proportion de personnes déclarant des limitations est calculée parmi l’ensemble des personnes de 50 à 70 ans exerçant ou ayant exercé (comme dernière profession avant la fin d’activité) la profession.

Lecture : passer le curseur de la souris pour afficher les professions correspondant à chaque point, ou explorer directement la base de données sur l’application interactive.

Sources : Enquêtes Emploi (Insee). Traitements : Patrick Aubert (IPP).

L’analyse des âges de départ à la retraite par profession apporte enfin un éclairage sur la problématique des écarts entre les femmes et les hommes. À cet égard, la comparaison des âges moyens par sexe peut être trompeuse, dans la mesure où les situations sont très disparates au sein de chaque sexe. Dans l’ensemble, il n’apparaît pas de corrélation nette entre la proportion de femmes dans une profession et l’âge moyen de départ. Plusieurs professions d’employés non qualifiés sont caractérisées par une proportion très élevée de femmes (plus de 95 %) et un âge conjoncturel de départ à la retraite élevé (après 63 ans) – vraisemblablement parce qu’elles sont exercées en grande partie par des femmes ayant eu des carrières incomplètes. D’autres professions fortement féminisées sont cependant, à l’inverse, caractérisées par un âge de départ plutôt bas, inférieur à l’âge minimal de droit commun : il s’agit notamment de métiers qui sont reconnus (ou l’ont été) comme catégorie active de la fonction publique (infirmières, aides-soignants, enseignantes du primaire…) Les mêmes disparités s’observent parmi les professions les plus fortement masculines : certains métiers d’ouvriers qualifiés ou de techniciens sont également caractérisés par un âge moyen de départ inférieur à l’âge minimal légal de droit commun (signe d’une éligibilité et d’un recours fréquent au dispositif de départ anticipé pour carrière longue), mais ce n’est pas le cas de tous – d’autres métiers d’ouvriers, fortement masculinisés, ayant à l’inverse un âge conjoncturel de départ supérieur à 63 ans, voire 64 ans (et ce déjà avant la dernière réforme).

Graphique 4 : âge conjoncturel de départ à la retraite selon la proportion de femmes dans chaque profession

Note : la proportion de femmes est calculée parmi l’ensemble des personnes de 50 à 70 ans exerçant ou ayant exercé (comme dernière profession avant la fin d’activité) la profession.

Lecture : passer le curseur de la souris pour afficher les professions correspondant à chaque point, ou explorer directement la base de données sur l’application interactive.

Sources : Enquêtes Emploi (Insee). Traitements : Patrick Aubert (IPP).

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