Le Compte Personnel de Formation (CPF) est un dispositif unique en Europe ; il vise à favoriser la formation tout au long de la vie, quel que soit le statut d’emploi de la personne : salariés et demandeurs d’emploi peuvent mobiliser leur CPF. Un nouveau changement – le quatrième en huit ans d’existence – va être introduit en 2023, avec l’instauration d’un « reste à charge » pour le salarié. Quelles conséquences pour l’efficacité du CPF, et quelles implications pour les salariés ?
La difficulté initialement identifiée pour mobiliser ses droits CPF
Le CPF est entré en vigueur en 2015 : contrairement à son prédécesseur, le Droit Individuel à la Formation (DIF), les droits acquis via le CPF sont attachés à la personne, qui conserve ses droits lorsqu’elle change d’entreprise ou passe au statut de personne en recherche d’emploi. Ainsi, toute personne âgée de plus de 16 ans ayant une activité professionnelle en France est titulaire d’un CPF ; il est alimenté chaque année en fonction de l’activité de la personne. Initialement abondé en heures, le CPF est monétisé depuis le 1er janvier 2019, ce qui a conduit à une forte diminution des droits. En effet, une heure de CPF, qui avait des valeurs différentes selon les Opérateurs de Compétences (OPCO) spécifiques à chaque industrie, est désormais remboursée à hauteur de 15 euros de façon uniforme.
Désormais, les salariés travaillant à temps plein (ou à temps partiel à plus de 50%) accumulent 500 ans euros par an pour se former. Le compte est plafonné à 5000 euros. Des abondements supplémentaires sont réalisés pour certaines personnes, par exemple certains salariés peu ou pas qualifiés acquièrent chaque année 800 euros, avec un plafonnement du compte à 8000 euros.
Pendant ses premières d’existence, le taux de recours était relativement faible : à titre d’exemple, 1,7% des salariés du privé avaient mobilisé leur CPF en 2018 (source : Caisse des dépôts). Ce faible engouement pouvait notamment s’expliquer par des coûts non-monétaires liés à l’entrée en formation : dégager du temps pour se former, parvenir à accéder à l’information relative au CPF, et surtout comprendre les démarches administratives nécessaires pour mobiliser ses droits. Jusqu’à la fin de l’année 2019, en effet, il était nécessaire de s’adresser à un OPCO pour mobiliser les fonds de son CPF. Face à ces barrières potentielles à l’entrée en formation, on peut comprendre que le taux de recours au CPF reste limité : Filippucci (2022) montre ainsi que la demande de formation était effectivement assez inélastique au CPF. En moyenne, un euro en plus d’aide garanti par l’État n’avait que très peu d’effet sur le choix de se former.
Mon Compte Formation : une solution pour rendre le CPF plus accessible, mais avec quels effets redistributifs ?
Depuis 2019, avec la création de la plateforme Mon Compte Formation, il est désormais possible de payer en ligne une formation sans passer par un intermédiaire : c’est le Parcours Achat Direct (PAD). Les formations éligibles au financement CPF doivent cependant être dispensées par un organisme de formation reconnu par l’état, autrement dit labellisé QUALIOPI. La forme actuelle du CPF est donc assez proche de l’objectif initial du gouvernement lors de sa création en 2015 puis de ses différents aménagements : permettre à chaque individu de se former, de sa propre initiative et sans rendre de compte à l’employeur, en choisissant une formation dans un marché régulé de la formation. Cette simplification des démarches semble avoir porté ses fruits, avec une hausse importante du taux de recours au CPF, qui a atteint 2,08% en 2020 contre 1,36% en 2019 (source : note de la Caisse des Dépôts).
Qui sont ces nouveaux bénéficiaires du CPF ? Leur niveau de rémunération semble inférieur à ce qu’on observait précédemment : l’écart entre le taux de recours au CPF des personnes rémunérées au SMIC et celles au-delà du SMIC est passé de 2,4 à 1,5 en 2020. Les stagiaires restent en revanche majoritairement des salariés en CDI : leur taux de recours au CPF était encore quatre fois supérieur à celui des salariés en CDD (2,60% contre 0,70%, source DARES). A ce stade il n’était donc pas totalement clair que le CPF ait un effet redistributif, dans la mesure où les personnes en contrat précaire auraient a priori tout intérêt à entrer en formation.
Du côté de l’offre de formation, certaines questions restaient également en suspens. Comme mis en évidence par Filippucci (2022), la mise en place du CPF avait permis d’augmenter drastiquement les prix de la formation et les marges des organismes de formation. Avec l’augmentation du taux de recours suite à la réforme de 2019, et en absence d’une réglementation plus stricte de l’offre, le risque demeurait qu’une partie des financements se traduise simplement par un transfert aux organismes de formation, sans s’assurer de la bonne qualité des formations
La mise en place d’un « reste à charge » : permet-il de mieux cibler les stagiaires ?
Un amendement a été déposé par l’exécutif le 10 décembre au projet de loi de finances 2023 pour instaurer un « reste à charge » du salarié lors de l’utilisation de son Compte Personnel de Formation (CPF). Après la création du CPF en 2015, sa monétisation en 2019, l’introduction de l’application Mon Compte Formation et des PAD fin 2019, il s’agirait d’une quatrième importante modification en moins de 10 ans. Si certaines précisions seront apportées par un décret à venir, l’amendement définit les grandes lignes des modalités de participation du salarié. La participation sera versée quel que soit le montant des droits disponibles sur le compte, en revanche, on ne sait pas encore si le reste à charge sera proportionnel au coût de la formation ou forfaitaire. Enfin, les demandeurs d’emploi seront exemptés de cette obligation.
La mise en place de la plateforme Mon Compte Formation a peut-être permis de limiter les coûts non-monétaires mentionnés plus haut, mais la réforme du gouvernement diminue le soutien à la formation, tandis que la monétisation avait déjà limité les moyens des stagiaires pour se former — en effet, Filippucci (2022) montre que le taux de conversion des OPCO avant 2019 était bien au-dessus des 15 euros par heure utilisés pour convertir le CPF en euros en 2019. Si l’amendement contribuera à combler le déficit de France Compétences, on peut se demander à quel prix : qui sont les stagiaires qui renonceront à se former suite à l’introduction du reste à charge ?
L’espoir du gouvernement est probablement que l’introduction d’un coût, même minime, permettra de sélectionner parmi les stagiaires uniquement les personnes dont l’intérêt à se former est le plus élevé, autrement dit qui bénéficierait le plus d’une formation ; on parle d’un « rendement élevé » de la formation sur leur probabilité d’emploi ou sur leur niveau de salaire. Inciter ces personnes à se former pourrait avoir un effet redistributif, en allouant les fonds de la formation à ceux qui en bénéficient le plus. On sait en effet par exemple que les personnes les plus éloignées du marché du travail sont celles dont le rendement de la formation est le plus élevé (Card et al., 2018). L’exclusion des demandeurs d’emploi du champ d’application de la réforme renforce le potentiel du CPF de cibler les personnes qui ont plus besoin de se former. En revanche, d’autres profils défavorisés pourraient faire face à une contrainte financière importante tout en ayant un intérêt conséquent à se former, les travailleurs précaires par exemple. Un dernier paramètre à prendre en compte dans l’équation est l’appétence à se former : les personnes les plus éloignées du marché du travail ne sont pas toujours les plus attirées par l’entrée en formation. On sait en tout cas que les personnes les moins qualifiées sont celles qui expriment le moins souvent une demande de formation (Dubois et Melnik-Olive, 2017 ; Briard, 2020).
La question du ciblage des stagiaires est donc légitime vu l’équilibre financier actuel de France Compétences et les limites du système actuel. En revanche imposer un reste à charge risque de limiter l’accès à la formation des personnes qui en auraient le plus bénéficié. Une telle réforme du CPF gagnerait en transparence en étant accompagnée d’une étude de son effet redistributif.