Depuis le début de l’épidémie en France, les médecins coordonnateurs d’EHPAD alertent sur les risques que le nouveau coronavirus fait courir à leurs résidents. Très rapidement, leurs craintes se sont révélées fondées : plusieurs EHPAD ont annoncé le décès de résidents atteints de cette maladie. Au 27 mars, l’ARS Ile-de-France annonçait que 40 % des EHPAD de la région étaient touchés, avec « 241 EHPAD sur 600 dans lesquels il y a des cas de personnes qui sont ‘Covid-positifs’ ».
Le 20 mars, des représentants du secteur des établissements et services médico-sociaux avaient écrit un courrier au ministre de la santé, lui demandant des masques pour protéger le personnel et les résidents. Dans ce courrier, ils évoquent la possibilité de 100 000 décès en EHPAD, « dans l’éventualité d’une généralisation » de la contamination. Est-ce un chiffre exagéré ? Rappelons quelques éléments sur les EHPAD et ceux qui y vivent, pour remettre ce chiffre en perspective.
600 000 résidents en établissements pour personnes âgées, globalement très âgés et en mauvaise santé
Au-delà de 75 ans, 8 % des personnes vivent dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées. Cette proportion passe à 21 % parmi les 85 ans ou plus. Ce sont environ 600 000 personnes qui vivent en hébergement permanent en établissement, hors résidences autonomie. Parmi ces résidents, 90 % vivent dans l’un des 7 400 EHPAD que compte le territoire français, qui sont des établissements médicalisés, en partie financés par l’assurance maladie. C’est par exemple plus que toute la population de la ville de Lyon (523 000 habitants en 2017). Qui sont-ils, ou plutôt qui sont-elles ?
Car les personnes âgées résidant en établissement sont pour 85 % des femmes. Elles ont 85 ans en moyenne, et 40 % a plus de 90 ans. 91 % sont dépendantes : elles ont besoin d’aide pour une ou plusieurs activités de base de la vie quotidienne comme pour se laver, s’habiller, manger… Plus de 90 % des résidents ont par exemple besoin d’aide pour la toilette. 55 % des résidents sont très dépendants (en « GIR 1 ou 2 ») : confinés au lit, au fauteuil ou ayant des fonctions mentales altérées, ils ont besoin d’aide pour la plupart des activités de la vie courante ou d’une surveillance permanente.
En plus d’avoir besoin d’aide au quotidien, les résidents d’EHPAD sont dans l’ensemble en mauvaise santé : ils cumulent en moyenne huit pathologies. 91 % souffrent d’affections neuropsychiatriques (syndromes démentiels, état dépressif, troubles du comportement…), et environ 1/3 de la maladie d’Alzheimer ou maladie apparentée.
Un taux de létalité de 20 % pour les 80 ans ou plus, peut-être davantage en EHPAD
Si l’on croise la répartition par âge des résidents d’EHPAD avec les taux de létalité du nouveau coronavirus estimés à ce jour, et que l’on ajoute la présence de pathologies préexistantes comme facteur de risque supplémentaire pour la plupart des résidents, on comprend les craintes des professionnels du secteur.
Pour les plus de 80 ans, le taux de létalité (nombre de personnes qui, ayant contracté une maladie, meurent de cette maladie) du covid-19 serait de l’ordre de 15 à 20 %. Le chiffre de 20 %, issu des statistiques italiennes, est probablement davantage applicable au cas français car la population des plus de 80 ans est globalement plus âgée en France et en Italie qu’en Chine. Soit une personne de cette tranche d’âge sur cinq, en population générale (personnes vivant à domicile et en établissement incluses).
100 000 décès de résidents d’EHPAD ?
Le chiffre de 100 000 décès potentiels calculé par les fédérations, qui peut se retrouver en appliquant un taux de létalité de 0,17 environ aux 600 000 résidents, ne semble donc pas surestimé, si l’on suppose que tout le monde contracte la maladie et que ce taux de létalité ne peut pas être réduit.
On sait déjà, avec l’exemple des EHPAD atteints par l’épidémie, que le virus peut y faire de nombreux morts, l’âge et la fragilité des résidents les rendant particulièrement susceptibles de développer des formes graves de la maladie. Il est possible que le chiffre de 100 000 décès en cas de contamination de l’ensemble des résidents de tous les EHPAD soit sous-estimé, puisque le taux de mortalité de 15-20 % utilisé pour son calcul est le taux actuellement estimé pour les personnes âgées de 80 ans ou plus en général. Or les résidents d’EHPAD sont en moyenne plus âgés et en moins bonne santé que l’ensemble des personnes de cette tranche d’âge. La priorité doit donc être d’empêcher que se réalise le scénario catastrophe dans lequel l’ensemble de cette population particulièrement vulnérable face au virus y serait exposée.
Mortalité et surmortalité
En moyenne, un EHPAD compte 100 résidents. Chaque année, parmi ces 100 résidents, 20 décèdent (toujours en moyenne) : les trois quart au sein même de l’EHPAD, un quart après un transfert à l’hôpital. La fin de vie et la mort font donc partie du quotidien de ces établissements, même en temps normal. Au total, ce sont 150 000 résidents environ qui décèdent chaque année, sur environ 600 000 décès par an en France. L’EHPAD était ainsi le dernier lieu de vie d’un quart des personnes décédées, et cette proportion atteint 35 % parmi les personnes de 75 ans ou plus.
Bien sûr, les 100 000 décès dus au nouveau coronavirus redoutés par les professionnels du secteur ne viendraient pas s’ajouter aux 150 000, car parmi les victimes du virus se trouvent des personnes qui seraient décédées dans l’année d’une autre cause. Mais ce serait l’équivalent de 2/3 des décès habituellement enregistrés en un an, concentrés sur quelques semaines ou quelques mois seulement, ce qui est énorme.
Les remontées des établissements aux ARS annoncées par le Directeur Général de la santé le 25 mars permettront de mieux appréhender la situation, même si l’attribution d’un décès au Covid-19 n’est pas évidente. Seuls les premiers résidents présentant des symptômes au sein d’un EHPAD sont testés. À partir du troisième résident atteint, les malades sont comptés comme des cas probables, ils ne sont plus testés. « Dans une période épidémique, les décès, même s’il n’y a pas de test, sont considérés comme liés à l’épidémie » a déclaré Jérôme Salomon. La surmortalité restera donc à mesurer en comparant les décès de 2020 à ceux des années précédentes.
Adopter des mesures de protection fortes pour les résidents d’EHPAD est donc un élément crucial pour limiter le nombre de morts total que fera l’épidémie en France. Dans un monde idéal, les EHPAD pourraient être des lieux où les plus fragiles seraient protégés de l’épidémie extérieure, mieux que s’ils étaient à domicile. Il faudrait pour cela qu’ils aient les moyens de tout mettre en œuvre pour que la transmission entre soignants et résidents soit évitée. Cela signifie des masques, d’autres équipements de protection, du personnel pour remplacer ceux qui seraient placés en quarantaine… Des mesures de soutien aux EHPAD et à leur personnel sont nécessaires, mais elles sont aujourd’hui mises en place dans l’urgence, trop tard pour beaucoup d’entre eux où le virus a déjà fait des victimes, et dans un secteur déjà sous tension.
Le manque de personnel et les conditions de travail en EHPAD à la lumière de la crise du covid-19
L’épidémie remet le secteur médico-social, en particulier celui dédié aux personnes âgées, sous les projecteurs : moins médiatisé et moins reconnu que le secteur sanitaire, mais néanmoins également « en première ligne », avec des moyens limités, des difficultés de recrutement et des postes vacants. Le rapport El Khomri sur les métiers du grand âge estimait déjà fin 2019 que, domicile et établissement confondus, plus de 90 000 postes supplémentaires devraient être créés d’ici à 2024. Les soignants faisaient déjà face à des conditions de travail difficiles avant l’épidémie. Certains d’entre eux étant eux-mêmes malades ou devant garder leurs enfants, le manque de personnel est aggravé au moment où les résidents, confinés dans leur chambre et sans visite de leurs proches, auraient davantage besoin d’aide et de soutien.
La pandémie a mis la question des moyens des hôpitaux au premier plan. Quelle que soit l’ampleur de la surmortalité due au nouveau coronavirus dans les EHPAD, on peut espérer qu’elle aura aussi montré l’importance de ces établissements et de leur personnel, pendant une crise sanitaire et au-delà. Plus largement, les personnes âgées étant les premières victimes du covid-19, les politiques publiques du grand âge feront probablement partie de la longue liste des sujets sur lesquels l’épidémie aura modifié la teneur des débats à venir. Comme ceux qui devaient avoir lieu dans le cadre de la préparation d’une loi « grand âge et autonomie » qui, ironie du sort, est encore repoussée par la pandémie.
Cet article montre bien la difficulté d’évaluer numériquement les conséquences d’une crise sanitaire sur la mortalité.
Que le décès survienne en milieu hospitalier, en EHPAD ou à domicile, comment être sûr qu’un décès est imputable grandement au COVID 19 ou à une autre pathologie.
On pourrait imaginer tester chaque personne décédée pendant cette période de pandémie. Mais est-ce légalement possible et éthiquement admissible ?
Seule une étude comparative de la mortalité sur plusieurs années peut donner des réponses plausibles à défaut d’être certaines.
Là encore il faut admettre des incertitudes. Quand les chiffres de mortalité routière sont publiés, les non spécialistes ignorent que les décès sont comptabilisés jusqu’à 30 jours après l’accident (6 jours jusqu’en 2004 !).
Une proportion non négligeable des malades atteints du COVID19 décèdera peut-être plus tard des conséquences de la maladie, mais leur décès sera comptabilisé à part.
Une conséquence du confinement dans les EPHAD est de diminuer considérablement la santé physique et psychique des résidents. Les soins des kinés et des podologues, les réunions avec les psychologues ont été reportés sine die.
Les familles qui sont un soutien ne peuvent plus entrer en contact avec leur parent.
Les animations qui rythment la vie des personnes âgées ne sont plus assurées.
Le maintien des personnes dans leur chambre, parfois même dans leur lit vont faire apparaître toutes les complications d’un état grabataire.
Enfin si une période de canicule survient cet été sur tous ces corps affaiblis physiquement et moralement, combien de morts seront alors imputables par ricochet au coronavirus ?