Les aides à l’apprentissage ont été largement débattues ces derniers mois, avec comme déclencheur la proposition du gouvernement d’en réduire le montant global. Faute de projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2025 adoptés au Parlement, le Gouvernement a récemment annoncé un décret à paraître en janvier. Il promet une diminution du montant des aides, plafonnées à 5 000€ pour les entreprises de moins de 250 salariés, et à 2 000€ pour celles de plus de 250 salariés.
Le débat pourrait reprendre prochainement au Parlement. La discussion s’articule autour du rôle des aides financières massives de soutien aux entreprises dans l’essor de l’apprentissage ces dernières années, avec le risque possible de le freiner en diminuant les subventions accordées. Ce risque serait pourtant acceptable si les aides actuelles favorisent le passage par l’apprentissage de jeunes dont la trajectoire professionnelle n’est pas positivement affectée par ce système d’études. Les étudiants de l’enseignement supérieur constituent en l’occurrence le principal public ayant bénéficié ces dernières années de l’investissement public dans l’apprentissage, via les aides aux entreprises et les niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage. Ce billet de blog s’appuie sur les résultats des études françaises et internationales récentes pour aborder la question de l’efficacité de l’apprentissage selon les publics concernés.
L’essor récent de l’apprentissage
Le nombre de jeunes en formation en apprentissage est passé de 430 000 à plus de 1 000 000 entre 2017 et 2023. Cette hausse historique constitue à première vue un accomplissement tant le développement de l’apprentissage apparaît comme l’une des politiques du marché de l’emploi les plus consensuelles de ces dernières années (Brébion 2019, Coquet 2023). La loi quinquennale de 1993 visait par exemple 500 000 apprentis en 2000, un objectif repris par la loi de cohésion sociale en 2005. De même, en 2011 Nicolas Sarkozy annonçait vouloir faire passer le nombre d’alternants de « 600 000 à 800 000 jeunes dans les trois années qui viennent, et 1 million à terme, c’est possible ». À nouveau en 2014, François Hollande affichait un objectif de 500 000 apprentis en 2017. Malgré ce consensus politique, le cap des 500 000 apprentis n’a été atteint qu’en 2020.
La hausse importante du nombre d’apprentis a cependant un prix : en 2022, l’ensemble des mesures de soutien à l’apprentissage représentait un coût pour les finances publiques de 18,2 milliards d’euros selon France Compétences. De plus, et c’est l’objet de ce billet, son impact sur la qualité de l’intégration des jeunes sur le marché du travail doit également être interrogé.
Aider les entreprises et les CFA … pour aider les apprentis ?
Le soutien à l’apprentissage de ces dernières années s’articule autour de deux mesures principales : les aides perçues par les entreprises en contrepartie de l’embauche d’apprentis, fixées à 5 000 € ou 2 000 € par contrat par le décret à venir en janvier 2025, et le financement des coûts pédagogiques supportés par les centres de formation d’apprentis (CFA). Alors que l’apprentissage a longtemps été vu comme une méthode de formation appropriée aux diplômes du secondaire – comme cela est encore le cas dans la plupart des autres pays – la hausse du nombre d’apprentis en France est désormais tirée par l’explosion de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur (voir graphique ci-dessous).

Source : Brébion, 2019. Mis à jour. Données DARES
Les aides allouées aux entreprises ont engendré des effets significatifs sur le nombre de contrats en apprentissage signés (rapport IPP n°51, 2024), néanmoins l’avantage comparatif des jeunes passés par l’apprentissage sur le marché du travail reste à préciser. L’enjeu est donc d’établir à quel point les études en apprentissage permettent d’améliorer l’intégration des jeunes sur le marché du travail.
Les apprentis s’insèrent mieux sur le marché du travail … est-ce grâce à l’apprentissage ?
Les apprentis sont plus souvent en emploi que les élèves de lycée professionnel qui ont pourtant préparé le même examen. En effet, parmi les sortants d’apprentissage de 2022 de niveau CAP à BTS qui ne poursuivent pas leurs études, 6 mois après leur sortie d’études, 67 % occupent un emploi salarié en France en janvier 20231(DARES, 2023), tandis que ce taux atteint 48% pour les lycéens professionnels qui ne poursuivent pas leurs études (DEPP, 2023).
Pourtant, ces chiffres ne soulignent en aucun cas l’impact causal de l’apprentissage sur les trajectoires professionnelles des élèves. En effet, les entrants en lycées professionnels et en CFA diffèrent significativement au regard de leurs caractéristiques individuelles (France Stratégie, 2024). Par exemple, les entrants en apprentissage ont en moyenne des parents plus proches du monde professionnel et plus souvent en emploi : la proportion d’apprentis dont le responsable légal est ouvrier est plus importante que celle des élèves en lycées professionnels (17,7 % contre 13,6 %), alors que pour ces derniers le responsable légal est en moyenne plus souvent employé ou au chômage. Les entrants en apprentissage sont également plus souvent des hommes (72 % contre 57 % en lycées professionnels) et sont en moyenne un peu plus âgés. Une enquête menée entre 2015 et 2017 (Kergoat, 2022) montre que signer un contrat d’alternance n’est pas « donné à tout le monde » : 30 % des élèves de lycée professionnel ne sont pas parvenus à accéder au dispositif de l’apprentissage malgré leur préférence pour celui-ci. Parmi eux, 56 % disaient ne pas avoir cherché d’entreprise, principalement car ils « ne savaient pas comment s’y prendre » ou n’en connaissaient pas. Si seuls les jeunes qui « savent s’y prendre » trouvent une alternance, on peut comprendre que ces mêmes jeunes aient également de meilleures opportunités d’emploi plus tard.
Ainsi, on peut s’interroger sur l’effet réel de l’apprentissage. Les taux d’emplois sont meilleurs en sortie d’études en apprentissage qu’en voie scolaire, mais est-ce dû au système de formation lui-même ou aux caractéristiques individuelles des apprentis qui, indépendamment de leur cursus, leur procurent un avantage sur le marché du travail ?
L’apprentissage, est-ce que ça marche ?
L’apprentissage du secondaire
La littérature montre qu’en sortie de secondaire, l’impact causal de l’apprentissage (par rapport à la voie scolaire) en France est positif sur le court terme. L’apprentissage confère un avantage en termes de probabilité d’emploi, de temps de travail, mais a un effet plus ambigu sur les salaires (Sollogoub and Ulrich, 1999 ; Simonnet and Ulrich, 2000 ; Issehnane, 2011 ; Abriac et al., 2009, Cart et al, 2018; Brébion, 2019). En France toujours, Cahuc et Hervelin (2024) montrent que cet effet est tiré par la réussite des jeunes en fin d’apprentissage dont le contrat est pérennisé dans leur entreprise de formation. Pour les autres apprentis – non recrutés par leur entreprise de formation une fois le contrat d’apprentissage terminé – le futur est plus terne. Ces jeunes diplômés ne bénéficient pas a priori de la spécificité de leur cursus lors de leurs candidatures sur le marché du travail, les entreprises se montrant indifférentes entre les candidatures d’anciens apprentis et celles d’anciens élèves de la voie scolaire.
Un grand nombre d’études internationales se sont penchées sur l’impact causal des études professionnelles dans le secondaire. Leurs résultats sont cependant rarement transposables au cas français tant les caractéristiques institutionnelles des systèmes de formation professionnelle diffèrent entre pays. Dans le secondaire, peu de pays offrent, en sus du lycée général, un système d’études en apprentissage et une voie professionnelle à temps plein développés et ouvrant à des métiers similaires. Deux études nous semblent cependant apporter un éclairage particulièrement utile :
- Est-ce que l’impact de l’apprentissage du secondaire se maintient à long terme ? Peut-être pas. Au Danemark, Heinesen et Stenholt Lange (2022) et Christensen et Kaarsen (2024) montrent que l’effet positif sur l’emploi et les salaires d’une orientation vers l’apprentissage du secondaire plutôt que vers des études générales tend vers zéro en milieu de carrière professionnelle ; il pourrait devenir négatif en fin de carrière.
- Au-delà des effets sur l’emploi, l’apprentissage permet-il de limiter le décrochage scolaire ? Oui, et c’est même peut-être l’une de ses premières vertus, moins mises en lumière que celle de l’insertion sur le marché du travail. En Angleterre, Matthewes et Ventura (2023) montrent que le développement de la voie professionnelle dans le secondaire n’a d’impact (positif) que sur le futur des jeunes qui auraient autrement décroché ; pour les jeunes qui se seraient autrement orientés vers la voie générale, l’impact moyen est nul, voire négatif.
L’apprentissage du supérieur
Les résultats précédents sont spécifiques au secondaire. En France, peu de travaux documentent l’impact de l’apprentissage en sortie d’études supérieures. Ceux qui s’y sont penchés n’ont identifié aucun avantage comparatif causal de l’apprentissage du supérieur sur le court terme (Brébion,2019). A l’international, il n’existe à notre connaissance pas d’études évaluant l’impact causal de l’apprentissage du supérieur. Ce système, tel qu’il existe en France, fait effectivement figure d’exception. Seuls quelques pays d’Europe (Italie, Espagne, Danemark, Ecosse, Belgique et Allemagne en particulier) offrent la possibilité de suivre des études tertiaires en apprentissage et, à chaque fois, il s’agit de voies marginales – relativement à la voie scolaire ou à l’apprentissage du secondaire (Cedefop). Les plus de 500 000 nouveaux contrats signés dans le privé pour préparer un diplôme de niveau bac+2 en 2023 – soit 61,4% des entrées en apprentissage dans le privé, dont 1/3 au niveau bac+5 ou plus (Dares) – sont le résultat d’une politique exclusivement française consistant à mettre l’accent sur l’apprentissage du supérieur.
Finalement, l’enthousiasme lié à la très forte hausse de l’apprentissage doit être mis au regard de son impact sur les trajectoires des jeunes qui en bénéficient : un tel contrat semble utile lorsque le diplôme préparé est dans le secondaire, principalement si le contrat de l’apprenti est pérennisé en fin d’études par son entreprise de formation. Cependant l’évolution récente de l’apprentissage est principalement tirée par l’apprentissage dans le supérieur, pour lequel aucun effet causal positif n’a été démontré.
Références
Abriac, D., R. Rathelot and R. Sanchez (2009), L’apprentissage, entre formation et insertion professionnelles, Formations et emploi, 57–74.
Brébion, C. (2019). Vocational training and industrial relations in France and Germany (Doctoral dissertation, École des hautes études en sciences sociales (EHESS)).
Brébion, C. (2019). L’apprentissage, un meilleur «rendement» professionnel en France qu’en Allemagne. Formation emploi. Revue française de sciences sociales, (146), 101-127.
Cahuc, P., & Hervelin, J. (2024). The effect of workplace vs school-based vocational education on youth unemployment: Evidence from France. European Economic Review, 162, 104637.
Cart Benoit, Léné Alexandre, Toutin-Trelcat Marie-Hélène , A l’aube de la réforme de la formation professionnelle, retour sur 20 ans d’insertion des apprentis, Céreq Bref, n° 370, 2018, 4 p.
Coquet, B. (2023). Apprentissage: un bilan des années folles. OFCE Policy brief, (117), 1-18.
Christensen and Kaarsen. (2024). Returns to vocational vs. general education through the life cycle. In Dansk Økonomi Forår 2024.
Issehnane, S. (2011), Le développement de l’apprentissage dans le supérieur : une évaluation empirique à partir de l’enquête Génération 2001, Travail et Emploi (125), 27–39.
Heinesen, E., & Lange, E. S. (2024). Vocational versus general upper secondary education and earnings. Journal of Human Resources, 59(5), 1535-1563.
Kergoat, P. (2022). Les coulisses de la formation professionnelle: processus de sélection à l’entrée de l’apprentissage. Formation emploi. Revue française de sciences sociales, (159), 49-69.
Matthewes, S. H., & Ventura, G. (2022). On track to success?: Returns to vocational education against different alternatives.
Simonnet, V. and V. Ulrich (2000), La formation professionnelle et l’insertion sur le marché du travail : l’efficacité du contrat d’apprentissage, Economie et Statistique 337 (1), 81–95.
Sollogoub, M. and V. Ulrich (1999), Les jeunes en apprentissage ou en lycée professionnel, Economie et Statistique 323 (1), 31–52.
- DARES, 2023. Le champ considéré inclut les apprentis inscrits en dernière année d’une formation pendant l’année scolaire 2021-2022 et qui ne poursuivent pas leurs études l’année suivante. ↩︎